Jean-Marc Blancherie

Dis-moi un conte, tu sais cette histoire d’un marin d’eau douce qui découvre, amer, la sécheresse des cœurs. Jamais il n’était allé en ville et ne s’imaginait que des villes invisibles, des villes nées de ces histoires qu’il se représentait vaguement mais n’avait jamais lues, puissent s’étendre au-delà des marais. Sans doute Italo Calvino les avaient inscrites dans un inconscient collectif, dans une mémoire intemporelle et apaisée, qui rassemblerait les hommes, au-delà de leurs cultures et de leurs époques. La parole circule au loin.
Faire ville.
Un paysage invisible détermine le paysage visible. Pour lui, un paysage d’étangs sans fin, la ville où se répètent les mêmes berges et les mêmes cœurs, ouverts et généreux, car dans ses songes vient s’incruster un havre de féminité, une table carrée, quatre figures féminines, dentelles et cheveux longs. Une main chaude se pose sur son front.

 

Rêveur errant. Il marchait à travers des villes invisibles. Serait-il apaisé ? L’horizon ondulait comme une mer endormie, illuminée d’un crépuscule éternel. Les contours de ces cités éphémères n’étaient discernables que par l’écho des paroles qui y circulaient, l’échange sans fin de légendes et de secrets, de chansons et de poèmes qui vibraient dans l’air comme une mélodie sans notes.
Un jour, traversant l’une de ces cités évanouies, une invitation lui parvint, doucement insinuée dans son esprit comme une plume portée par le vent. « Dis-moi un conte », implorait une voix féminine, douce et mystérieuse, s’élevant du murmure de la ville. Intrigué, le rêveur se laissa guider par cette voix vers un improbable havre de féminité. Autour d’une table carrée, quatre figures féminines, vêtues de dentelles, aux cheveux longs, évoquaient des silhouettes de nymphes surgies d’un autre temps. Elles figuraient un tableau à la fois éthéré et solide, incarnant la puissance et la douceur, l’antique et le moderne. L’une d’entre elles, une créature aux cheveux d’ébène et au regard d’étoiles, tendit une main chaude vers lui. Elle se posa doucement sur son front, dissipant les nuages de ses pensées. Ses yeux rencontraient les siens, un océan dans un regard, plongeant profondément dans son âme. Dans cet instant d’intimité, il ressentit une vague d’apaisement, l’eau douce d’une source de montagne.
Alors, il commença à raconter. Ses mots naquirent du silence, gracieux et fluides comme les mouvements d’une danse ancestrale. Il parla d’amour et de perte, de joie et de douleur, de courage et de peur. Chaque syllabe se détachait de sa bouche pour se mêler à l’air, dansait dans le crépuscule éternel de cette invisible cité. Tout en écoutant, les quatre figures féminines semblaient transporter le conteur et elles-mêmes à travers des mers d’étoiles et des montagnes de nuages, à travers des forêts de rêves et des vallées de souvenirs. Elles étaient les passeuses de l’imaginaire, les gardiennes de la parole qui circule.
Et lorsque le conteur termina son histoire, son cœur était ouvert, ses pensées dévoilées. Il avait partagé cette partie de lui-même que seules Isis, et les gardiennes du rêve, pouvaient entendre, cette parcelle de son âme à jamais associée au murmure des villes invisibles. Le rêveur, sous le regard des gardiennes, s’enfonça encore au-delà, dans le mystère des villes invisibles.